chronique d’ album Placebo – ‘Loud Like Love’

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Date de sortie Septembre  2013

Label Mercury Records/Universal

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Pour tous ceux qui avaient aux alentours de vingt ans en ce milieu des années 90, il ne fut pas facile de passer à côté du tout premier album de Placebo en 1996.
A l’époque, ils représentaient un son relativement nouveau, loin de la Brit pop lénifiante et trop codifiée des Blur/Oasis, mais tout aussi étrange & étranger par rapport au sur-rock grunge virile et répétitif à l’excès, en plongeant plutôt leurs racines chez les Pixies, Hüsker Dü, mais aussi (surtout) chez The Cure et Joy Division, et dans une certaine mesure, dans une idée presque émotionelle du post-hardcore cher à Washington D.C, au moment même où la génération slacker se cherchait un nouveau « Nirvana ».
Dix-sept ans plus tard, et après six albums au compteur, ils ont eu leur haut (Without You I’m Nothing), leur bas (Battle For The Sun), devenant presque pour nous un groupe francophone sur-médiatisé comme un autre ou presque (« Protège-moi », avec les paroles de Virginie Despentes / leur album de 2003 Sleeping With Ghosts devenant la douzième plus grosse vente de l’année en France) et dont on frisait parfois, il faut bien le dire, l’indigestion.

Et aujourd’hui, ils sont toujours là, malgré les modes et les sinuosités de la hype (n’est-ce pas la signature d’un grand groupe lorsqu’on reconnaît leur son, leur style dès la première mesure/ la question est purement rhétorique), et ils récidivent, dans une note plutôt apaisé et optimiste (tout étant relatif pour Placebo), de plus en plus pop pourrait-on dire, avec ce septième album, qui ne s’intitule pas Lourd/fort comme l’amour par hasard ― le mot « love » revenant assez souvent dans plusieurs chansons tout au long du disque.

Les trois premiers morceaux sonnant comme du Placebo pure souche, avec leurs arpèges rêveurs, les tons mineurs mis en avant (rehaussé par un piano mélantico-romantique que n’aurait pas renié Coldplay sur Too Many Friends ou un synthé presque chill-wave sur Scene of the Crime), le refrain comme une explosion (l’une des marques post-Pixies du groupe ― ce qui en fait bien un rejeton du début des nineties, comme Nirvana, Teenage Fan Club ou les Smashing Pumpkins) et la rapidité d’exécution en forme de puissance émotionnelle (autre trade-marque du groupe, échappé de son amour pour le post-hardcore), on se demande quand même si le changement ne se ferait pas plutôt dans la plus stricte des continuités (la fin du tout premier morceau est magnifique, mais c’est un sentiment que l’on a déjà ressenti pour d’autres opener d’album du groupe, notamment Come Home sur l’éponyme de 96).

Tant est qu’on se demande quand même ce que ce nouvel album apporte de nouveau à la “formule” Placebo (déjà bien sillonnée) ? Est-ce véritablement la marque d’un grand groupe ou d’un groupe qui n’a plus grand chose à nous dire ? Deuxième question : le plaisir que peut nous procurer des chansons bien écrites affilié à un son que l’on reconnaît tout de suite, n’est-il pas aussi ce qui importe le plus quand on écoute de la Pop ? En même temps, Placebo a toujours fait ça : aligner ses morceaux les plus radio-friendly ou les singles “addictifs” en début d’album (Loud Like Love, Too Many Friends ― on peut leur reprocher pas mal de choses mais pas une certaine habilité à pondre le tube qui tue, comme les morceaux sus-cités ou Rob The Bank, qui pourrait faire lui aussi merveille dans les charts). Mais la ballade Hold On To Me, une ballade mélancolique, avec cordes et guitare acoustique, au final poignant avec son solo lent, rêveur et aérien sur une suite d’arpèges répétitifs et désabusé, qui n’est pas sans évoquer un mix de Depeche Mode (« Home » sur Ultra) et de The Cure, est sans doute le tournant du disque. Ce que l’on note tout de suite aussi avec la très Tears For Fears-ienne, A Million Little Pieces, une ballade elle-aussi (une étonnante référence pour Placebo mais qui fonctionne très bien), qui est l’un des clous de ce disque. Ce sont d’ailleurs les ballades qui sont pour nous les vrais points d’achoppement de ce disque — là où il se réalise pleinement, sans effort, et là où Placebo nous touche le plus. Ce que l’on n’est pas habitué à dire des morceaux de Placebo en général. Mais force est de constater que le songwriting du groupe est arrivé à une telle maturité, qu’il n’ont plus peur maintenant de se « lâcher » dans des descriptions musicales d’affect qui ne sont pas habituellement les siens.

Exit Wounds est aussi une grande réussite avec son début calme, sa montée émotionnelle et son final Depeche Modien. L’électronique étant ici une donnée comme une autre, s’ajoutant tranquillement aux guitares et aux autres éléments disponibles du studio, sans s’y opposer, à contrario de ce qu’on avait pu voir sur leur album Black Market Music (en 2000), où les morceaux à guitares n’étaient pas les morceaux à synthés et vice-versa. C’est d’ailleurs cet élément qui fait de Placebo un groupe pop avec un grand P, dans la lignée de New Order ou de U2. Même si aujourd’hui, et cela peut se noter depuis la fin des années 90, les frontières habituelles entre « underground » et « mainstream », au niveau du son et du travail en studio, notamment, sont devenues inopérantes. Si bien qu’on ne peut pas définir le son de Placebo comme étant d’une originalité frappante, exception faite de la voix de Molko, bien sûr (mais une voix appartient bien à quelqu’un), car c’est un son que l’on retrouve à peu de choses près chez tous les grands groupes d’aujourd’hui postulant au Top 40, quel que soit leur style de départ ― Mais vu l’habilité song-writinesque qu’à le groupe d’avoir écrit presque neuf tubes sur dix (Purify étant sans doute la moins passionnante des chansons sur ce disque), on peut dire qu’il s’en sort avec plus que les honneurs. Et Begin The End et Bosco, les deux ballades clôturant le disque, montrent qu’après tout la vieillesse et la maturité, même alliée à une “formule” (si tant est qu’on puisse définir la « Pop » hors d’un tel travail de « formulation de gimmicks »), surtout si le temps est venu stabiliser l’écriture et une certaine faculté de composition.

Par Sylvain Courtoux pour Electrypop

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